« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » disait Antoine Lavoisier, chimiste. Il peut sembler étrange de citer un chimiste pour parler ce qui se passe actuellement dans la petite enfance. Pourtant, cette citation me semble résumer parfaitement la situation dans les crèches en France.
Depuis quelques mois, les enquêtes accablantes dénonçant les pratiques maltraitantes en crèche se multiplient. Le rapport de l’Igas, les livres Le prix du berceau de Daphné Gastaldi et Mathieu Perisse et le livre Babyzness de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette y dénoncent les douces violences, la recherche de profits de certaines crèches privées qui se fait au détriment des conditions de travail des professionnels et du bien-être des enfants. Dans ces crèches, les valeurs de bienveillance et de bien-être représentent davantage un élément marketing visant à gagner des parts de marché plus qu’une réelle qualité d’accueil. Autrement dit, « on vend du rêve pour faire du profit »…
Cela est particulièrement inquiétant dans un secteur où notre métier est d’éduquer, accompagner les enfants, dans les premières années de leur vie. Nous accompagnons les parents dans cette période essentielle. Dans chacune de mes expériences en crèche, j’ai été marquée par l’investissement sans faille des professionnels qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour accompagner les enfants au quotidien. Les conditions de travail de plus en plus ardues mettent à mal leur vocation. Car oui, travailler auprès d’enfants est une vocation. Il ne s’agit en aucun cas d’une voie de garage que l’on choisit pour « trouver un emploi facilement » ou « gagner de l’argent ». Les professionnels qui ont ces motivations ne restent pas très longtemps dans ce secteur.
Vers une déshumanisation du secteur…
Les conditions de travail des professionnels de la petite enfance « déshumanisent » leur métier. Dans le secteur de l’éducation, nous travaillons avec l’humain. Dans la petite enfance, nous semons des graines. Je dis souvent que l’objectif de mon métier est de semer les graines qui permettront à chaque enfant de vivre heureux. Si l’environnement dans lequel évolue l’enfant n’est pas propice à l’essaimage de ces graines alors nous mettons à mal leurs capacités et celles du monde de demain à vivre en accord avec ces propres valeurs.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » Lavoisier
Nous revenons à cette fameuse citation… La politique de recherche de profit amène donc à faire des choix contraignants pour la vie d’une crèche. Cette répercussion peut être vécue violemment par les équipes (accumulations d’heures supplémentaires, manque de personnel, stress engendré par les objectifs à atteindre…).
Ce stress, cette violence ne disparait pas. L’être humain est, par nature, empathique, les neurosciences en sont la preuve. Par conséquent, les enfants accueillis dans ces crèches ressentent ce stress. Etant donnée la grande immaturité de leur cerveau, ils ne parviennent pas à y faire face. Cela se traduit par des pleurs, des crises, ou des comportements qui sont le reflet de leur insécurité.
La violence qui était, au départ, vécue uniquement au sein de l’équipe s’est alors déplacée chez les enfants. Les enfants, à leur tour, expriment cette violence dans leur comportement : leurs familles la ressentent et l’expriment à leur tour dans leur relation avec la crèche…
C’est donc un cercle vicieux.
Comment agir à l’échelle de la crèche ?
Vous aurez sans doute remarqué que je ne parle que de « certaines crèches ». Je ne tiens pas à généraliser ces phénomènes car, heureusement, il y a des crèches où il fait bon vivre pour les enfants. Des crèches qui choisissent un meilleur taux d’encadrement et où les valeurs défendues ne sont pas qu’un argument de vente mais un choix porté par une pédagogie adaptée aux enfants et mis en œuvre par toute l’équipe.

Il est donc possible d’agir à sa propre échelle.
Lorsque tout va mal, on a tendance à dire « je n’ai pas l’argent pour… », « je ne peux pas faire ça ou ça … »
Il faut, au contraire, prendre le contre-pied de ce mode de pensées et dire « stop ! » en répondant à cette question : « De quoi a besoin mon équipe ? ».
Dans une crèche où la violence s’installe, je dirai que l’équipe a besoin d’empathie. La violence s’installe là où la communication s’arrête. Je tiens à rappeler que pour une communication efficace, il ne s’agit pas uniquement de s’exprimer, il faut aussi écouter et chercher à comprendre sans jugement ni a priori.
L’empathie, l’accompagnement des émotions des professionnels et des enfants est la meilleure clé pour amorcer un climat serein en crèche.
Il est essentiel pour chaque équipe de crèche de se faire accompagner en analyses de pratiques ou supervision afin de permettre aux équipes de communiquer entre elles, de prendre du recul sur leur pratique et sur les situations vécues avec les enfants ou les parents. Ces temps hors présence des enfants est le seul moment pendant lequel ces questions peuvent être abordées dans le respect de chacun.
J’accompagne les professionnels dans le cadre de supervision/analyse de pratique en Alsace et dans les Vosges.
Vous êtes intéressés ?
Comments